Entretien exclusif avec Françoise Huguier pour le Salon de la Photo

Cette année, le Salon de la Photo mettra à l’honneur les créations belles et touchantes de Françoise Huguier à travers une exposition sur le sujet « De femme à femmes ».

Retrouvez ci-dessous son entretien avec Simon Edwards, directeur artistique du Salon de la Photo.

© Françoise Huguier / VU'

Simon Edwards : L’exposition que vous préparez pour le Salon de la Photo s’articule autour de l’image de la femme dans votre travail. À partir de quelle époque avez-vous mis en valeur le quotidien de la femme. Était-ce conscient ou inconscient ?

Françoise Huguier: C’était un peu inconscient. J’ai toujours photographié plus les femmes que les hommes. D’abord parce que dans les maisons ou sur les marchés c’étaient souvent les femmes qui étaient là. Comme dans les appartements communautaires à Saint-Pétersbourg. Il y en avait beaucoup, elles vivaient seules et c’était ça qui m’intéressait.

© Françoise Huguier / VU'

 

S.E. : Au début de votre carrière, vous avez commencé à faire des reportages pour vous-même, vous vous êtes rendue en Indonésie et vous avez vécu dans des communautés traditionnelles qui n’ont pas changé depuis des millénaires. Comment avez-vous abordé ces reportages ?

F.H. : Au début j’ai travaillé pour un journal qui s’appelait 100 Idées et qui avait un directeur artistique extraordinaire. Il y avait des sujets de 15 pages avec textes sur des curiosités. Quand je suis partie en Indonésie, j’ai proposé un sujet sur les marionnettes en dentelle de cuir pour les cérémonies à Bali et j’ai fait ensuite l’histoire du bambou, l’histoire du thé et c’est comme ça que j’ai commencé. Le dernier sujet que j’ai fait pour eux c’était les uniformes des écoliers au Japon et je me suis rendue compte que je commençais à m’intéresser plus au social qu’aux curiosités. C’est à cette époque que j’ai rencontré Christian Cajole, qui m’a proposé de travailler pour Libération et j’ai dit oui. On m’a commandé des sujets sur le cinéma et surtout sur la société. Comme par exemple sur cette femme qui vivait dans la cave d’un HLM à Poissy dans les années 80. Un jour j’ai dit que j’aimerais bien suivre le voyage de Mitterrand en Afrique de l’Ouest. Ça m’a passionné, parce que ce n’est pas mon genre de photo. Il y avait deux autres photographes avec moi. J’ai une anecdote à ce sujet. C’était lors d’un petit déjeuner avec Chirac, qui était premier ministre à l’époque, Mitterrand et Idriss Deby. On était autour de la table et les deux autres photographes, dont je tairai les noms, parce que je les aime beaucoup, me bousculaient. Je me rappelle que François Mitterrand alors leur a dit « Laissez Françoise quand même un peu faire son travail ». Mitterrand était quelqu’un d’extraordinaire, qui, quand il vous avait vu une fois, se souvenait de votre nom.

 

S.E. : Dans vos premiers reportages aviez-vous de l’appréhension, de la peur ? En lisant votre livre Au doigt et à l’œil J’ai l’impression que vous y alliez franchement.

 

F.H. : Je n’ai pas fait d’école de photo et au début quand j’ai commencé, mon père me disait « Je ne comprends pas pourquoi tu fais ça, la photo c’est bon pour les albums de famille ». Mon père était ingénieur, donc il était loin de tout ça. Ma mère elle, a compris. Un jour elle a assisté à une séance de mode que j’ai faite en Bretagne. Quand on fait des photographies de mode on est metteuse en scène. Ma mère m’a dit : « maintenant je comprends pourquoi tu fais de la photo, c’est parce que tu commandes… » Au début, quand je me baladais dans la rue avec mon appareil photo sur le ventre, dès que je rentrais dans un bistro, tout le monde me regardait et ça me mettait très mal à l’aise. J’ai eu beaucoup de mal au début c’est vrai, mais, maintenant en photo, plus rien ne me fait peur.

S.E. : La fin des années 60 à Paris était une période très mouvementée et formatrice pour une jeune photographe en devenir. C’était l’époque de Saint-Germain-des-Prés et de son Drugstore par exemple, où on trouvait tout. Cette période vous a-t-elle beaucoup inspirée ?

 

F.H. : Oui beaucoup. Saint-Germain était très intéressant à l’époque. Au Drugstore Il y avait surtout beaucoup de photos accrochées. Maintenant c’est fini, ça n’existe plus car il y a une boutique de mode à la place. Mes parents habitaient dans le coin et j’étais étudiante à ce moment-là. J’étais pour la liberté. Je ne veux pas embêter les gens avec la liberté, mais pour moi elle est très très importante. J’espère que ça va pouvoir continuer. La liberté de penser, la liberté de faire des choses mais de les faire avec classe et avec respect. Le respect, je l’ai appris avec mes parents et aussi en Afrique où c’est très important. Mais dans ma tête je suis libre et c’est ce que j’aime. Je fais très attention à qui j’ai affaire et souvent mes copains me disent que j’ai des yeux comme des scanners. C’est vrai, je vois tout, mais j’ai appris ça petit à petit. C’est parce que j’ai ce sens de la liberté. Je suis comme un chat, je rôde autour des gens jusqu’à ce que je trouve le bon moment. Je pose des questions, et puis tout d’un coup… paff !

© Françoise Huguier / VU'

 

S.E. : Pouvez-vous nous parler de votre expérience de l’Afrique Secrète, ce long reportage sur ces femmes si discrètes au Burkina Faso et au Mali ?

 

F.H. : Comment suis-je arrivée au Mali ? Jusque-là j’allais surtout en Asie, au Japon et en Corée. Un jour un ami anthropologue, Jean-Jacques Mandel, m’a dit « Françoise tu devrais aller au Mali ». J’ai alors pris une maison au bord du Niger à Ségou où mes copines venaient me raconter leurs histoires. Elles venaient se confier à moi. Elles me parlaient souvent de l’excision et de la polygamie. J’ai commencé à faire des photos dans cette maison, ensuite dans le quartier et enfin dans la chambre des femmes. Au Mali la chambre des femmes est très importante. C’est là où elles gardent tous leurs secrets. Les hommes, je le dis dans mon livre, sont comme des bourdons. Un homme qui a deux femmes passe deux jours avec une femme et deux jours avec une autre, il n’a pas de chambre. C’est général c’est comme ça dans la polygamie. Dans la chambre des femmes les beaux enfants n’ont pas le droit de rentrer, ni la belle-mère, car la femme y a tous ses secrets. Les secrets, elles ne les livrent pas au mari évidemment, éventuellement à leurs enfants, plutôt aux filles qu’aux garçons et c’est la raison pour laquelle je les ai appelées Secrètes.

 

S.E. : Ces femmes venaient vous voir et vous vous êtes liée d’amitié avec elles et donc vous avez pu les photographier par la suite.

 

F.H. : À Ségou elles ont accepté et après je suis allée en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso photographier la chambre des femmes. Je suis parti d’Abidjan et je suis arrivée au Burkina chez les Lobis à la frontière du Ghana. Ensuite je suis remontée au Mali en passant par Ouagadougou et après, le Mali, au pays Dogon. J’ai fait beaucoup de photos dans ces villages Lobi au Burkina. Les maisons sont comme des petits châteaux-forts en terre, ce sont les femmes qui les construisent et qui font la décoration extérieure. À l’intérieur c’est très beau, parce que c’est à la fois leur habitation et leur grenier. Il y a des trous de lumière qui viennent de la terrasse, comme si le Saint-Esprit les éclairait. J’ai fait une photo d’une fille en pagne sous cette lumière, comme une déesse égyptienne. C’était très important pour moi de faire tout ce travail. Si je n’avais pas beaucoup parlé auparavant avec mes amies au Mali je n’aurais jamais eu l’idée de faire les chambres des femmes.

En 1988-89, j’ai entrepris une traversée de l’Afrique de Dakar à Djibouti qui est devenue un livre, L’Afrique Fantôme, sur les traces de Michel Leiris, et je suis tombée amoureuse du Mali. J’y vais tous les ans, c’est comme ça que j’ai suivi des orchestres de musiciens dont le Super Bitton, et que je me suis passionnée pour la musique malienne et pour l’empire Mandingue. La Charte du Mandé (1XIIe-XIIIe siècles) c’est la charte des droits de l’Homme qui date de bien avant la nôtre. L’empire Mandingue était un empire très important, qui malheureusement n’est pas enseigné à l’école française, mais au Mali et en Guinée. Il y a le « cousinage de plaisanterie » entre ethnies, qui date de la même époque.

 

S.E. : Votre travail sur la Kpop est délirant et très coloré. Les jeunes femmes et garçons malaisien(ne)s se sont-elles/ils prêté(e)s à ce jeu très facilement ? Plus tard à Séoul vous explorez la place des femmes dans la société. Pouvez-vous nous en parler ?

F.H. :  J’avais été souvent en Asie du Sud-Est dans les années 75/80 et je voulais y retourner, voir l’émergence de la classe moyenne due à la réussite économique. Lorsque j’ai eu le prix de l'Académie des Beaux-Arts, je suis repartie à Singapour, à Kuala Lumpur et à Bangkok. J’ai exposé ce travail à Paris puis en Asie du Sud-Quand je suis retournée à Kuala Lumpur, mon ami, Ponk, qui est maintenant photographe, m’a dit « il y a un chanteur de Kpop coréen qui donne un concert ». Je lui ai demandé « c’est quoi ça ? ». Il m’a dit « tu vas voir ». J’y suis allée, c’était hallucinant. Le chanteur s’appelait G-Dragon, c’était une bête de scène. Mon ami m’a dit qu’il y avait un shopping Mall pour les fans de Kpop et nous l’avons visité. J’ai voulu alors faire des portraits, sur des fonds dans des Malls appartenant à des Chinois, qui m’ont donné la permission. On a mis une annonce sur Facebook pour le casting et les jeunes sont venus tous habillés et maquillés.

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S.E. : Quel regard portez-vous sur cette mode ? Qu’est-ce qui fait selon vous que ces jeunes filles et ces garçons s’habillent de cette manière si extravagante?

 

F.H. : Cela vient du Japon. Il y a un endroit à Tokyo où tous les weekends les gens se retrouvent. À mon époque c’était plutôt les rockabillies tandis que maintenant c’est plutôt les Harajuku.(1) Au Japon ils vont encore plus loin, parce qu’il y a des gens qui vivent comme leur personnage, habillés toujours pareil, même chez eux.

 

S.E. : C’est comme ce phénomène au Japon des jeunes qui s’enferment dans leurs chambres et qui ne veulent plus sortir.

 

F.H. : Exactement. Mais en Corée, où la société est très stricte, pour les jeunes c’est un moyen de pousser les limites. Le premier groupe de Kpop a d’abord été produit par trois musiciens de jazz. Maintenant c’est une entreprise très fructueuse, on ne peut plus les rencontrer. J’ai mis un mois pour avoir la permission de photographier le groupe « La Boum ». J’ai tout organisé, j’ai loué un studio, et j’ai fait une mise en scène « thé chez Marie-Antoinette », inspirée du film de Sofia Coppola. Ensuite j’ai trouvé la styliste pour les robes. Les filles avaient quatorze ans, le visage complètement retouché. En Corée, quand vous réussissez votre bac vos parents paient une chirurgie esthétique. C’est une vieille tradition. Même avant cette époque quand il n’y avait que le maquillage, si on voulait se marier et avoir un travail, il fallait avoir un bon physique. Avant de partir j’avais rencontré Valérie Gelézeau, directrice d’études à l’EHESS et spécialiste de la Corée qui a travaillé sur le paraître et l’esthétique. Maintenant à Séoul, il y a des avenues entières de cliniques esthétiques.

S.E. : Pendant 30 ans vous avez arpenté les ateliers et les défilés de mode. En lisant votre livre autobiographique on a l’impression que vous avez dû vous battre au départ pour pouvoir produire une photographie de mode intimiste révélant la beauté et la créativité. Comment votre travail que vous appelez « Sublimes » s’est-il construit dans ces années-là ?

 

F.H. : J’ai commencé à Libé quand le journal s’est ouvert à la mode. J’étais donc déjà sur les podiums, mais pour rentrer dans les ateliers c’était une autre affaire, tout était fermé. En plus il n’y avait pas beaucoup de femmes photographes autour du podium. Moi, je ne voulais pas être au bout du podium parce que tous les photographes étaient déjà là trois heures avant. En tant que femme on me disait « mets-toi derrière s’il te plaît ». J’ai tout entendu, c’était vraiment la guerre. Pour arriver à faire du backstage c’était très difficile aussi, donc il a fallu que mes photos commencent par être publiées. J’ai débuté avec Christian Lacroix qui était chez Patou. Avec lui c’était plus facile car il était à ses débuts et je l’ai suivi jusqu’à la fin. C’est un monde fascinant. J’ai découvert les ateliers de haute couture où il n’y a pas de machines à coudre, tout est fait main. C’est le savoir-faire français et c’est unique au monde. À cette époque je photographiais toutes les mannequins stars, même Carla Bruni. Et j’osais même leur couper la tête.

© Françoise Huguier / VU'

 

S.E. : Justement c’était la formation de votre style, les éléments des robes, les mouvements et les parties du corps,

 

F.H. : C’est vrai que j’aimais photographier les mannequins de dos, un bout de robe, de chaussure, une lumière sur un tissu…

 

S.E. : Je pense que ce genre de photographie a beaucoup influencé les photographes qui sont venus après vous car quand on feuillette les magazines de mode on ne voit pas l’ensemble, on ne voit que des parties des vêtements. Vous avez laissé une trace je pense dans l’approche de la photo de mode. Votre interprétation du voile dans la série Hijab en Asie du Sud-Est montre une nouvelle manière de s’exprimer en tant que femme malgré les exigences de la religion. Comment avez-vous abordé ce sujet ?

 

F.H. : J’ai fait un workshop à Jakarta où il y avait une fille qui portait un hijab très coloré alors qu’ici c’est souvent blanc, beige ou noir. J’ai voulu faire une série sur ce thème, mais je partais pour Bandung. Cette fille m’a expliqué qu’elle avait une bande d’amies à Bandung que je pouvais contacter. Je suis allée dans un shopping mall où on peut tout acheter, les robes de mariée etc. et j’ai pu faire une série avec elles. Ça m’a passionné. C’est aussi une mode, très colorée, et une continuation du travail que j’ai fait en France. Il y a des couturiers indonésiens assez connus pour les hijabs, les robes de mariées et les broderies, c’est un vrai fashion statement. Dans le shopping Mall, j’ai photographié une jeune femme en hijab, habillée tout en Hello Kitty. Cela les a beaucoup amusées que je fasse ce travail.

 

S.E. : Justement on ne sent pas ce qu’on vit en ce moment en Europe, en France depuis quelques années par rapport à ça.

 

F.H. : Pour moi chacun fait ce qu’il veut à partir du moment où on ne tue pas.

 

© Françoise Huguier / VU'

S.E. : En passant par la Colombie votre objectif s’est posé sur la vie des religieuses dans des couvents. De provenances ethniques très diverses, comment ces femmes voient-elles le monde actuel, si toutefois cela les concerne ? Comment avez-vous pu rentrer en confiance avec ces femmes retirées du monde ?

 

F.H. : J’avais déjà exposé en Colombie, notamment les appartements communautaires et j’ai voulu y retourner pour faire des photos des religieuses. Je me suis inspirée du missel de ma grand-mère avec des images pieuses. Un ami attaché culturel m’a fait rencontrer le directeur d’une université jésuite. Grâce à lui j’ai pu rentrer dans les couvents. Chez les Ursulines, mais aussi des couvents dont je ne connaissais même pas la congrégation. Puis je suis allée à Cali dans un couvent de Carmélites qui sont des recluses, et dans la communauté des claristes, où les religieuses ne parlaient qu’à Jésus-Christ et à leur confesseur. Seule la directrice avait le droit de s’adresser à moi. J’ai été moi-même élevée par des religieuses. À la MEP j’ai exposé ces photos comme dans une chapelle avec un prie-Dieu et aussi à Gap dans un hôtel appelé… Le Couvent !

 

S.E. : Lors de vos nombreux voyages en Russie vous avez entamé un travail qui s’appelle « Kommunalka ». C’est un récit sur les habitant.e.s des appartements communautaires à Saint Pétersbourg en Russie et qui s’étale sur 15 ans. Qu’est-ce qui vous a poussé à entreprendre ce travail dont les images de femmes sont d’une étonnante et sombre beauté ?

 

F.H. : Dans ces appartements il y a également des médecins, des écrivains et des philosophes. Ces appartements communautaires datent de la construction de l’Union Soviétique, car il n’y avait pas assez d’argent pour construire des immeubles comme on voit en banlieue aujourd’hui. Du temps de Lénine et, après, du temps de Staline, qui était encore pire, on allait chez des gens riches qui avaient des appartements de 200 mètres carrés et plus et on leur disait « vous avez un grand appartement dont vous êtes propriétaire. Vous pouvez garder deux pièces et nous allons mettre des ouvriers qui viennent de la campagne dans les autres chambres ». C’est comme ça que cela a commencé avec la cuisine et la salle de bains en commun. Avant de partir en Sibérie polaire (En route pour Behring) j’ai rencontré une ethnologue, spécialiste du chamanisme, qui habitait Saint Pétersbourg. Avec mon interprète on l’a cherchée et elle habitait dans un appartement communautaire. C’est grâce à elle que j’ai connu ces habitations. Après mon voyage en Sibérie polaire je me suis dit que je voulais vraiment faire un travail sur ce sujet. J’ai été d’abord dans un premier, puis un deuxième et ensuite un troisième appartement. Il y avait une dame peintre chez laquelle je louais une chambre juste en face du musée de l’Hermitage qui avait une amie dans un appartement communautaire, donc, grâce à elle, j’ai pu passer de chambre en chambre. J’ai travaillé à Saint-Pétersbourg sur ce sujet deux à trois mois par an pendant dix ans, et j’ai aussi fait un documentaire sur l’un de ces appartements, présenté à Cannes et en salles à Paris.

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S.E. : Dans les photographies de l’exposition on voit des images de femmes d’une sensualité extraordinaires et aussi, comme vous dites, des images inspirées du cinéaste russe Andrei Tarkovsky avec ses couleurs, ses ambiances suggérées, mystérieuses et angoissantes. Il y a dans ces images aucun jugement aucun regard critique. On voit les femmes telles quelles sont, nues ou habillées.

 

F.H. :  En revenant de mon voyage et en parlant avec mon interprète je lui ai expliqué que j’avais envie de photographier des nus. Il m’a répondu que j’étais « folle. C’est impossible de faire ça ! » Pour moi, « impossible n’est pas français. » Dans les appartements, il disait à tout le monde « Françoise veut faire du Nu ». La réponse était oui car les femmes avaient envie de poser pour une artiste. C’est un pays où elles acceptent encore, alors que c’est devenu très difficile ici en France. Dans la photo « Le Nu aux journaux » la fille repeignait son appartement, elle avait mis des journaux pour protéger le sol. J’ai commencé à la photographier en culotte, et après je lui ai dit « ça ne t’ennuie pas de te mettre de dos, nue ? »  C’est ainsi que j’ai commencé. Cela s’est fait en douceur. J’ai l’âge que j’ai et je suis une femme.

En travaillant pour le Grand Paris, je suis allée dans 35 familles autour de Paris. Mais je n’arrive pas chez eux en disant « clac on va faire des photos ! ». Je leur raconte ma vie, mes sept vies différentes (rires). Je regarde autour de moi tout ce qu’il y a, sur les murs, au plafond et par terre, pendant qu’on prend le café, puis je demande si je peux aller aux toilettes. Pourquoi ?  Parce que dans les toilettes il y a toujours des journaux, des photos, du papier hygiénique et la bouilloire pour se laver chez les musulmans. Je sors des toilettes et je dis « oh ! le petit garçon en photo, c’est qui ? » et on me répond « Et bien c’est mon petit-fils, voulez-vous voir sa chambre ? » Ensuite on me fait visiter tout l’appartement. Arrivée dans la chambre de la grand-mère, je dis « puis-je voir votre garde-robe ? ».  En sortant un vêtement je m’exclame « Ah ! c’est trop beau, vous ne voulez pas le mettre ? ». Et sous la douche, j’ai parfois réussi aussi.

 

S.E. : Vous êtes une vraie metteuse en scène de cinéma. Parlons des femmes tatouées vous en avez fait pas mal aussi. C’était au Japon.

 

F.H. : C’est grâce à Issey Miyake, en 85 ou 86. Je savais qu’il y avait une grande tradition de tatouage au Japon. Issey Miyake m’a présenté le maître tatoueur Horiyoshi III (qui est mort maintenant) et j’ai passé une semaine chez lui. Le tatoueur accueillait des artisans et des Yakusas. Je l’ai photographié en train de travailler. Il y avait même un homme qui avait le sexe tatoué, à qui j’ai demandé de se mettre à poil, il a accepté. J’ai photographié tout ce qui nourrissait l’inspiration de ce maître, comme sa collection d’estampes japonaises anciennes. À Singapour, en photographiant les familles des HDB (logements sociaux), j’ai rencontré un couple d’architectes tatoués, je n’ai pas résisté. A Bangkok, il y a beaucoup de studios de tatouages. Gatai, mon interprète m’a dit : « allons au grand marché, il y a beaucoup d’hommes et de femmes tatoué.e.s. Et chez un fleuriste qu’elle connait, elle m’avait réservé une surprise : le propriétaire était complétement couvert de tatouages traditionnels bouddhistes, avec des godemichets à sa ceinture. Gatai m’a emmenée ensuite chez la cheffe d’orchestre d’un groupe de rockabilly, tatouée sur le dos d’une magnifique panthère.

S.E. : Quels sont vos projets actuels ?

 

F.H. : La chronique photographique du cabinet de kiné où je fais soigner ma capsulite. Et un reportage sur l’usine Herrenknecht, en Allemagne, qui fabrique les tunneliers pour le monde entier, entre autres pour le métro Grand Paris Express.

 

© Françoise Huguier / VU'

 

 

 

(1) Le style Harajuku tire son nom du quartier Harajuku à Tokyo.  Au début, les jeunes locaux occupaient les rues vêtus de tenues uniques et colorées. Le premier engouement était de mélanger les vêtements traditionnels japonais avec des vêtements occidentaux. Le message que ces jeunes envoyaient est qu’ils se fichaient complètement de la mode grand public. Ils voulaient s’habiller comme ils le souhaitaient.

Découvrez la genèse de l'exposition "De femme à femmes"