ZOOM DE LA PRESSE 2020 : KAMIL ZIHNIOGLU
Présenté par Nicolas Jimenez, directeur photo, Le Monde
BIOGRAPHIE
Né en 1993 à Paris, Kamil Zihnioglu découvre la photographie dès son enfance avec ses deux parents travaillant dans ce corps de métier. L’image prend alors très vite une place prépondérante pour exprimer ce qu’il ressent. Il reçoit son premier appareil photo à 14 ans et commence à documenter son entourage. Entre 2012 et 2013, il effectue à Berlin un stage comme photographe avec l’ancienne agence de presse allemande DAPD, suivi d’une expérience comme iconographe avec le quotidien allemand Bild Zeitung, où il apprend toute la chaîne de production du métier de la photographie de presse. Kamil revient à Paris en 2014, où il travaille comme photographe indépendant pour l'agence photo Sipa Press et en 2015 pour l'agence de presse internationale Associated Press, tout en poursuivant ses études à l’École de Condé dans la section photographie. Il obtient son diplôme en 2017 avec un projet à long terme nommé ‘Epilogue’, retraçant les 322
derniers jours du quinquennat de l’ancien président français François Hollande.
Au cours de ces 3 dernières années, Kamil a continué à développer sa passion pour le photojournalisme et la photographie documentaire. Il se concentre sur des projets documentaires plus approfondis en parallèle de son travail quotidien avec AP et le journal Le Monde. Il travaille actuellement sur un projet personnel s’intitulant « Qui, ancu i muntagni si scontrani » (« Ici, même les montagnes se rencontrent ») témoignant de l’identité culturelle de la jeunesse Corse.
ÉLOGE
Vous avez forcément vu une de ses photos, sans forcément le connaître. Des rues de Paris la nuit des attentats, à l’Arc de Triomphe lors des manifestations de gilets jaunes, en passant par les obsèques de Jacques Chirac, Kamil est un jeune photojournaliste qui fait ses armes pour l’agence AP (excellente école de la précision journalistique s’il en est). Mais Kamil développe dans ses projets personnels une écriture photographique, plus intuitive, moins en tension et plus dans l’émotion. Le résultat est précis, maitrisé et sensible. Les lumières sont belles. Il est de cette jeune génération, en mouvement, qui questionne sans cesse les diverses pratiques photographiques sans les opposer.
Nicolas Jimenez
ZOOM DU PUBLIC 2020 : AURÉLIEN GILLIER
Présenté par Léonor Matet, iconographe, et Dimitri Beck, directeur de la photo du magazine Polka
BIOGRAPHIE
Né à Paris en 1983, Aurélien Gillier se consacre à la photographie après des années d’un doctorat à l’EHESS consacré aux émeutes de Détroit en 1967. Envoyé régulièrement en Afrique par la Banque Africaine de développement, il réalise de nombreux reportages en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Sénégal, au Togo, au Burkina Faso. Sa pratique est nourrie par sa formation d’historien. La série « Les cowboys sont toujours noirs » est encore en cours, mais il s’intéresse également aujourd’hui à la place des rumeurs et des théories du complot en Guinée Conakry, un travail à la croisée de l’enquête sociologique et de l’approche artistique.
ÉLOGE
Quand Aurélien Gillier se rend pour la première fois au Burkina Faso en janvier 2016, il a en tête de réaliser un sujet sur les courses hippiques. Il y passe un mois, logé dans un quartier populaire de Ouagadougou, et alors qu’il boit un verre avec des amis, un attentat se produit à quelques kilomètres de là. Il pense à couvrir l’événement mais un homme fait irruption dans le bar. Lui, c’est Don Carlos, plus connu sous le nom de « Shérif de Ouidi ». « Votre sécurité est entre les mains du Shérif », proclame-t-il, ivre, et demande en échange quelques clopes et des bières. Le décor est planté ! La pénombre transforme le troquet en saloon et le protagoniste de ce qui deviendra cette nouvelle série entre en scène.
Depuis quelques temps, Aurélien Gillier était à la recherche de cette personnalité locale. Leur rencontre inopinée le décide à raconter l’histoire des cowboys modernes d’Afrique de l’Ouest, une histoire qui mêle la tradition hippique du peuple Mossi datant de l’époque médiévale aux codes du western américain. « Le rêve du Shérif, c’était d’être John Wayne, raconte le photographe. Les Africains ont très rapidement eu accès à des Westerns et n’ont pas cherché un instant à jouer le rôle des Indiens. Eux, ce qu’ils voulaient, c’était être les Cowboys, les dominants, pas les dominés ». Le Shérif incarne un rôle dont il est intimement convaincu, s’invente un personnage, une vie familiale même, et se sent investi d’une mission de sécurité dans le quartier. Il y fait régner sa loi, recadre ceux qu’il considère comme des « brigands », ces bandes qui traînent et commettent des petits larcins.
Mais les cowboys, ce sont eux. Des gamins des rues qui ont quitté l’école et se font recruter, dès le plus jeune âge, dans le monde du cheval. Ils s’occupent des bêtes, sont cavaliers, jockeys, écuyers, dresseurs ou entraîneurs. Pour gagner quelques deniers, ils préparent les chevaux pour quelques festivités, des mariages, des attractions. Cavaliers acrobates, ils paradent lors d’événements culturels tels que le Fespaco - le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, équivalent national du Festival de Cannes –, mais aussi lors des cérémonies officielles, aux côtés du roi Mossi et du président de la République. Pour les propriétaires des chevaux, de riches burkinabés, l’animal, symbole de l’identité africaine traditionnelle, est un signe d’apparat.
Pour contrer l’ennui entre les rares festivités, les jeunes cowboys organisent des courses, plus ou moins officielles, dans l’hippodrome de la capitale chaque dimanche à 15 heures. L’argent circule. Les bandes rivales se toisent. On joue les gangsters dans une ambiance macho.
Entre documentaire et fiction, Aurélien Gillier relate le quotidien de ces cavaliers marginaux, premiers rôles d’une épopée chevaleresque qui s’écrit dans un autre far west.
Léonor Matet
MENTION SPÉCIALE DE LA PRÉSIDENTE DU JURY 2020 : MARION SAUPIN
Présentée par Gérald Vidamment, rédacteur en chef du magazine Compétence Photo
BIOGRAPHIE
C’est l’histoire d’une myriade d’objets jetables et d’emballages à utilisation unique ; tous certifiés non garantis à vie. À en croire notre folie consumériste, ils seraient néanmoins absolument indispensables à notre bien-être. Tantôt contenants, tantôt contenus, ils envahissent la planète, capitonnent les fonds marins, et finissent par gagner notre indulgence, se rendant alors avantageusement invisibles.
Mais c’est aussi une histoire d’anticipation, où lesdits objets, une fois leur cycle éphémère effectué, entament finalement une seconde existence, durant laquelle ils ne font désormais plus qu’un avec notre corps, épousant nos formes, accompagnant nos gestes, dirigeant nos sens. Cette fois, c’est nous qu’ils emmaillotent, empapillotent, encapuchonnent ; toujours à notre insu. Cette fois, c’est nous le produit. Humains reconditionnés par paquets d’un exemplaire ; pelliculage à discrétion. Naît ainsi une génération mutante d’êtres radieux en apparence, hautement stylisés, et progressant inexorablement dans une lumière aveuglante. Ce défilé de dupes qui se joue devant nous finirait presque par nous emballer, nous faire rêver ; alors qu’au même instant, c’est une douce asphyxie doublée d’une oppressante indifférence qui ponctue l’ultime acte d’une espèce définitivement déboussolée.
Intitulée Re-cycle, la série de Marion Saupin nous confronte à notre capacité inébranlable à faire fi d’une réalité connue de tous. Et qu’importe si l’objet d’insouciance se retourne contre nous. Nous aurions déjà gagné haut la main notre perte. Emballé, c’est pesé.
Gérald Vidamment
ELOGE
Née en 1992, Marion Saupin est une jeune photographe bretonne de 28 ans. Passionnée d’art, elle rejoint Paris pour étudier. Après un BTS photographie au lycée Auguste Renoir dans le 18e arron-dissement où elle découvre toutes les possibilités qu’offre le travail de portrait et de la mise en scène, elle poursuit ses études avec une licence Photographie et art contemporain à l’université Paris 8. Son goût pour la mise en scène et le portrait se confirme.
Elle construit ses images en studio et fait jouer des personnages à ses modèles en leur contant l’histoire de ces êtres imaginaires. Son travail est centré sur les thèmes du rêve, de l’étrange et du bizarre. Elle tente de transporter le spectateur dans un univers décalé, doux et poétique, sans repères afin de laisser libre cours à l’imagination, tout en intégrant l’étrangeté de façon subtile. La plupart de ses photographies sont relativement épurées, intemporelles, et très inspirées de la peinture et de la photographie ancienne.
Elle travaille pour des artistes et créateurs en photographie de portrait, nature morte et reportage. Elle est également photographe culinaire, abordant la prise de vue de la même manière que celle dédiée au portrait.